"Je ne voulais pas raconter les choses moi-même"

Dans un livre, l'évêque Charles Morerod répond aux questions concernant la problématique des cas d'abus sexuels dans l'Église. Interview.

Charles Morerod a du subir une grave opération en septembre 2023, après un saignement crânien. © La Télé

La Télé: Après être passé tout près de la mort en 2023 suite à un saignement crânien, vous avez pris la décision de vous confier dans ce livre intitulé "Tu n'abuseras point". Pourquoi cette démarche?

Mgr Charles Morerod: Je pense que pendant longtemps, je me suis dit que les choses allaient évoluer à leur rythme. Et en fait, je me suis dit que j'aurais peut-être dû accélérer le rythme moi-même. En même temps, j'ai pris conscience du fait que ce que nous faisons, certains le comprennent bien et d'autres pas du tout. Ce livre est l'occasion de montrer comment je vois les choses. Cependant, j'ai pensé qu'il était bien que je ne le dise pas moi-même et j'ai donc demandé à Camille Krafft de me soumettre à ses questions.

Camille Krafft, vous êtes journaliste, comment réagit-on lorsque l'évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg vous demande de lui poser des questions, car il veut se confier?

Camille Krafft: J'ai d'abord été étonnée par la démarche. Je me suis posé beaucoup de questions, comme savoir s'il le faisait pour redorer l'image de l'Église. Mais assez rapidement, je me suis dit que ça avait un intérêt. À la fois pour le grand public, pour les victimes d'abus sexuels, que j'ai beaucoup rencontrées, et pour les catholiques. C'était intéressant de voir comment la pensée d'un évêque s'articule et lui laisser la possibilité de s'exprimer, sans être dans l'urgence de l'actualité. De plus, l'une de mes conditions était de pouvoir poser toutes les questions, même celles qui pouvaient déranger et ça été fait.

Dans le livre, vous demandez à l'évêque pourquoi il continue de soutenir une institution qui semble indéfendable. Était-ce une question importante pour vous?

C.K: Effectivement. Je pense que c'est une question que tout le monde se pose aujourd'hui. D'autant que les hommes d'Église doivent souvent répondre sur des cas précis, tandis que là, on en apprend plus sur les raisons qui le poussent à rester et sur ce qu'il porte au fond de lui.

C.M: Je suis dans une situation contrastée, car en même temps qu'il se passe tous ces problèmes, je vois aussi une augmentation impressionnante du nombre de personnes adultes qui viennent vers l'Église et qui découvre la foi. J'ai l'impression que nous présentons une alternative à une société dans laquelle ils ne trouvent plus de sens et pas beaucoup d'espoir. Je suis donc confronté à des univers qui ne se connaissent pas vraiment les uns des autres.

Camille Krafft, comment avez-vous vécu cet entretien avec Charles Morerod?

C.K: J'ai découvert un monde. Je suis catholique, mais étant athée, je n'ai plus de lien avec l'Église. J'ai également découvert que la charge d'évêque peut être un jeu d'équilibriste puisqu'on est à la fois le père des prêtres et à la fois juge. De plus, on doit rendre des comptes à l'intérieur et à l'extérieur de la société. C'était donc l'occasion de mieux comprendre comment ça fonctionne. Finalement, c'était aussi une occasion de pousser Charles Morerod un peu plus loin dans la réflexion, par rapport au célibat des prêtres ou à l'ordination des femmes par exemple. Parfois, c'était plus difficile de répondre, mais il admettait toujours les limites de sa propre pensée.

La Télé - Camille Tissot / Adaptation web: Théo Charrière
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