En prison pour une amende: une réalité qui inquiète
Chaque année, des milliers de personnes sont emprisonnées en Suisse pour ne pas avoir payé leurs amendes. Notre enquête.

"Il a fallu choisir entre payer les amendes et remplir le frigo." Il y a quelques années, Daniel s'est fait pincer à plusieurs reprises sans ticket de transport valable dans le train. Les amendes s'accumulent, mais ce Fribourgeois ne les paie pas. Après quelques mois, la case prison devient inévitable. Au final, Daniel passera une vingtaine de jours derrière les murs de la prison centrale de Fribourg.
Cette mésaventure est aussi arrivée à Paola, flashée sur une autoroute romande au début des années 2020. Au chômage à ce moment-là, cette Fribourgeoise ne réussit pas à payer. Elle ne répond pas non plus aux sollicitations des autorités qui lui proposent des alternatives, comme des travaux d'intérêt général. "J'étais en dépression à ce moment-là et je n'ouvrais pas mon courrier. C'est aussi en partie ma faute, car mon courrier passait directement à la poubelle. Dès que la police m'a appelée, c'était déjà trop tard." Paola passera une dizaine de jours dans un établissement pour femmes.
Des cas qui ne sont pas isolés
Les exemples de Daniel et Paola sont loin d'être des cas isolés. En 2023 en Suisse, près de 4000 personnes ont fini en prison après ne pas avoir payé une amende reçue pour, par exemple, avoir été attrapées sans billet de train, avoir roulé trop vite ou avoir volé dans un magasin. Cela représente 42 % des incarcérations totales dans notre pays, mais seulement 3% de l'effectif moyen des prisons.
Ce genre de situations, Vivianne Schekter, directrice de REPR, une fondation suisse qui vient en aide aux familles de détenus, les entend tous les jours. "Nous avons affaire à des Monsieur et Madame Tout-le-Monde qui connaissent une cassure à un moment de leur vie et qui lâchent prise sur le plan administratif."
L'administratif est d'ailleurs l'un des points centraux de la problématique des peines de substitution à l'amende. En Suisse, 90 % des procédures pénales se règlent par ordonnance. Une simple lettre envoyée à domicile. "Il ne faut pas se voiler la face, une procédure est quelque chose de compliqué", reconnaît l'avocat vaudois Loïc Parein. "Il y a un risque accru, pour une catégorie de personnes, de se retrouver privée de liberté. Pas forcément parce qu'elles le méritent, mais parce qu'elles étaient dans l'incapacité de se défendre et de comprendre le risque auquel elles étaient exposées", ajoute-t-il.
Des conséquences à long terme
Passer par la case prison, même pour quelques jours, peut laisser des traces. "Le choc psychologique et émotionnel qu'une personne ressent en arrivant en prison est très important." Il y a la séparation affective, le stress de ne connaître personne et la peur. "Les premiers sentiments que j'ai ressentis, c'étaient la honte et l'incrédulité", admet Paola. "Je me suis demandé comment j'en étais arrivée là. Au final, je n'ai tué personne, je ne suis pas dangereuse."
La possibilité de finir derrière les barreaux pour une simple amende impayée est dénoncée par plusieurs associations, professionnels du droit et académiciens. Pour Patricia Meylan, docteure en droit et lectrice à l'Université de Fribourg, une peine doit servir à ressocialiser et à éduquer afin d'éviter toute récidive. "Si une personne ne peut pas payer, elle ne peut pas payer, c'est tout. La prison ne va pas régler leur problème d'insolvabilité", estime-t-elle. "Ces personnes ont commis les crimes les moins graves de notre société et sont réprimées par la peine la plus grave : la privation de liberté. On criminalise la pauvreté !" ajoute Patricia Meylan, qui plaide pour une justice plus sociale.
Une volonté politique de maintenir le système
Malgré ces critiques, le monde politique ne semble pas prêt à passer le cap. "Abandonner ce système aurait pour conséquence d'abandonner la punissabilité de ces comportements problématiques. Il n'y aurait plus d'effet dissuasif et le nombre de ce genre de cas augmenterait", estime le conseiller national UDC Nicolas Kolly. "Tout cela a un coût, mais ne rien faire coûterait bien plus cher", complète le Fribourgeois.
Ces dernières années, le Parlement fédéral a plutôt durci le Code pénal. En 2018, il a par exemple réintroduit les courtes peines privatives de liberté (moins de six mois) et supprimé certaines mesures destinées à venir en aide aux personnes condamnées à une amende, mais dans l'incapacité de payer.
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