Qatar 2022: le cas de conscience du foot
Faut-il boycotter la Coupe du monde ? Les avis de fans et d'acteurs du monde du foot, à moins d'un mois du tournoi.
27 jours nous séparent de la Coupe du monde. Et pourtant, il semblerait que la sauce a de la peine à monter. Certains diront que c'est parce que la compétition se déroule en plein hiver. D'autres n'arrivent pas à se réjouir pour un événement organisé au Qatar.
Ce minuscule pays a mis sur pied la Coupe du monde la plus chère de l'histoire. 6,5 milliards de dollars ont été consacrés à la construction de stades climatisés qui, pour la plupart, ne seront plus utilisés dès la fin de la compétition. Des centaines de vols quotidiens ont été prévus pour acheminer les supporters. Sans oublier les droits bafoués des travailleurs migrants et de la communauté LGBTQ+. Décidément, rien ne parle en faveur de ce Mondial.
Seuls les fidèles feront le voyage
Même s'il est moins enthousiaste que pour l'Euro 2024 qui se tiendra en Allemagne, Michaël ira au Qatar. Ce Vaudois de 32 ans, fan du Lausanne-Sport et du HC Davos, organise ses vacances en fonctions de l'équipe de Suisse depuis plusieurs années. Il restera à Doha aussi longtemps que la Nati est en lice.
"Ce n'est pas parce que je vais là-bas que je cautionne ce qu'il se passe au Qatar. Cela fait douze ans qu'on sait que la Coupe du monde aura lieu là-bas. Il fallait agir avant. C'est trop facile de demander aux supporters de boycotter", explique Michaël.
L'avis du Vaudois est partagé par Samuel et Robin qui feront également le déplacement. Les Fribourgeois vivront leur premier Mondial. C'est la victoire de la Suisse contre la France en huitième de finale de l'Euro 2021 qui les a motivés. Ils logeront d'abord dans un Fan Village, un regroupement de containers installés pour accueillir des supporters du monde entier, avant de prendre leurs quartiers dans un bateau de croisière amarré dans le port de Doha.
Les deux amis redoutent un peu ce qui les attend à Doha. Le Qatar est sévère. Une grande partie du Code pénal est basé sur la charia. La consommation d'alcool ne sera permise qu'à certains endroits. L'état d'ivresse sera par ailleurs interdit. Les fans ne seront pas autorisés à retirer leurs vêtements et à exhiber leur torse nu. Les femmes devront porter des pantalons ou des jupes longues, sans oublier de couvrir leur poitrine et leur nuque. Le port du voile n'est pas obligatoire, mais il est encouragé.
Marre du sport business
Autant de règles qui n'ont pas suffi à décourager Michaël, Samuel et Robin. Stéphane, lui, ne veut plus entendre parler de cette Coupe du monde. Le Fribourgeois ne regardera aucun match: "J'aime de moins en moins ces grosses compétitions, comme la Coupe du monde ou la Ligue des Champions. Je ne me reconnais plus dans ce sport business. Je préfère le football de talus."
Stéphane ne sera certainement pas le seul à boycotter. L'ancien footballeur Eric Cantona a déjà promis qu'il ne regardera pas la Coupe du monde. Certaines villes ont interdit les fans zones. À la RTS, on s'est aussi demandé s'il fallait rejeter le Mondial. Rapidement, les dirigeants ont estimé qu'il était préférable de rendre compte de ce qui se passe au Qatar.
Joël Robert est le rédacteur en chef adjoint de la rédaction sportive de la RTS. Il fera partie de ceux qui iront au Qatar. "La couverture sera sportive, mais aussi politique, économique, sociale et environnementale. Notre mission est d'informer en toute objectivité. On doit garder notre indépendance. Douze journalistes iront sur place", explique-t-il.
Qu'en pensent les Fribourgeois? Frapp leur avait récemment posé la question.
L'engagement de l'ASF
La RTS espère donc profiter de la Coupe du monde pour révéler ce qu'il se passe au Qatar. L'Association suisse de football partage le même avis. Depuis plus de deux ans, elle s'implique pour les droits humains et des travailleurs qui ont construit les stades. En plus de s'être rendue trois fois sur place, elle a notamment collaboré avec Amnesty International.
Dominique Blanc est le Président de l'Association suisse de football. Il est aussi l'initiateur et cofondateur du "groupe de travail sur les droits de l'homme" qui est composé de plusieurs associations nationales de football: la Suisse, l'Angleterre, la France, la Russie, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, le Danemark et le Portugal.
Le président de l'ASF détaille ce qui a été obtenu en deux ans: "On aura la liberté de la presse et le respect de la communauté LGBTQI+ pendant la Coupe du monde. Le système kafala, qui forçait les travailleurs migrants à donner leurs passeports aux employeurs, a été aboli. Un salaire minimum a été introduit à la fin 2020. Aujourd'hui, on remarque que sur les chantiers du Mondial, ça se passe plutôt bien, même s'il y a encore des choses à améliorer. En dehors de ces chantiers, on n'a par contre aucune influence."
Les footballeurs muets
À moins d'un mois du lancement de la Coupe du monde, les fans, les médias et même les associations nationales ont fait entendre leur mécontentement. Reste que les footballeurs prennent rarement la parole pour dénoncer le Qatar. Depuis mars 2021, la sélection helvétique a été impliquée dans les discussions. Des discussions qui restent secrètes.
Les joueurs de Murat Yakin ont été informés. Ils ont par ailleurs accepté la position de l'Association suisse de football. Dominique Blanc rappelle: "Si l'un des membres de la Nati veut s'exprimer à titre personnel, il est libre de le faire. On ne l'empêchera surtout pas."
"La Coupe du monde 2022, le cas de conscience du football", c'est un reportage de Marie Ceriani à réécouter ici: