Les 20 ans du tsunami de 2004: un Gruérien témoigne
Jean-Luc Gremaud a mené une mission d'identification des corps en Thaïlande après la catastrophe naturelle du 26 décembre 2004. Il raconte.
Il y a vingt ans, le 26 décembre 2004, un tsunami provoqué par un séisme sous-marin déferlait sur les côtes de Sumatra, d'Indonésie et de nombreux pays de l'océan indien. Avec plus de 225'000 morts, cet événement est souvent cité comme l'une des pires catastrophes naturelles de l'Histoire récente. Trois jours après cette tragédie, la Suisse dépêchait en Thaïlande des membres de son équipe spécialisée en identification des victimes de catastrophes (Disaster Victim Identification, DVI) pour une mission de trois semaines.
"C'était le chaos, le chaos complet, comme vous pouvez l'imaginer après telle catastrophe", se souvient Jean-Luc Gremaud. Le Fribourgeois est à l'époque chef du DVI. "Évidemment, il n'y a plus d'eau, il n'y a plus d'électricité. Les structures ne fonctionnent plus." Face à cette situation, les équipes d'identification des victimes de catastrophes doivent faire preuve d'une grande autonomie.
Le temps est un facteur critique. "Nous voulons travailler le plus rapidement possible parce que le temps qui passe, c'est toujours quelque chose de très délicat au niveau de la qualité des informations qu'on peut retirer pour identifier les gens. Ces corps, du matin au soir, on les examine. On fait des examens dentaires, des relevés d'empreintes, des photographies", explique-t-il. Le Gruérien d'origine admet que l'identification n'était pas toujours possible. "Parfois, on n'y arrive pas."
Les données post-mortem recueillies sont ensuite confrontées aux informations obtenues auprès des proches des disparus. "Lorsqu'on a des correspondances suffisantes, on prononce une identification", précise-t-il. Le processus peut être long. "Pour le cas du tsunami, c'est courant janvier que les toutes premières identifications ont pu être prononcées. Et puis, peut-être que six mois après, il y a eu des identifications de corps examinés durant les tous premiers jours des équipes DVI."
Défis diplomatiques
Se mettre au travail immédiatement n'est pas sans difficultés, notamment sur le plan diplomatique. "Il faut faire comprendre aux autorités locales qu'on arrive de l'étranger et qu'on va s'occuper d'une partie de leurs problématiques. Et ça, ce n'est pas toujours bien accepté", confie Jean-Luc Gremaud. Ces négociations peuvent prendre "une ou deux journées", durant lesquelles les équipes doivent convaincre les autorités locales de leur apporter leur aide sans perturber leurs opérations.
De plus, un autre défi attendait les équipes d'aide. "L'État ne respectait pas les directives d'Interpol sur l'identification des personnes défuntes". Le chef du DVI et son équipe avaient pour mission de "les amener à respecter ces directives d'identification pour que les corps soient vraiment identifiés selon des protocoles corrects et reconnus sur le plan international".
Face à la répétition des dépouilles et à la nature du travail, l'impact psychologique peut être lourd pour les membres des équipes DVI. Interrogé sur le fait de savoir s'il est possible de ressortir indemne d'une telle expérience, Jean-Luc Gremaud répond: "Je pense que oui, mais à plusieurs conditions." Il insiste sur l'importance de la préparation et de l'expérience : "À la condition que le travail qu'on y fait ne soit pas un travail que vous découvrez au moment où vous prenez l'avion pour vous rendre en Thaïlande. Si vous faites ça, vous allez être marqué à vie et de façon négative."
L'ancien responsable souligne également la différence entre les catastrophes naturelles et les situations de guerre ou d'attentats. "J'ai eu le privilège d'intervenir aussi dans des cas de guerre ou d'attentats", confie-t-il. Dans ces circonstances, les victimes ont souvent subi "des actes de torture ou des actes de violence qui ne sont pas celles infligées par les aléas de la nature".
"En Thaïlande, c'était un peu comme si vous examiniez en Valais une victime d'une avalanche. Il y a un aspect de fatalité qui fait que la personne était au mauvais moment, au mauvais endroit", explique-t-il. "Par contre, si vous examinez une victime sur laquelle vous voyez des actes de torture, là, ça laisse des traces différentes sur celles et ceux qui examinent les corps."
113 ressortissants suisses ont perdu la vie dans le tsunami en 2004.
Sons recueillis par Rhône FM