Syrie: l'équipe de transition veut rassurer
Le nouveau pouvoir en Syrie a promis jeudi d'instaurer un "Etat de droit" quatre jours après la chute de Bachar al-Assad, la diplomatie américaine mettant pour sa part en garde contre le déclenchement de "nouveaux conflits" dans le pays.
A l'issue d'une offensive de onze jours, une coalition rebelle dominée par le groupe islamiste sunnite radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) a renversé dimanche le pouvoir de Bachar al-Assad qui a pris le fuite en Russie.
Face aux défis politiques, sociaux et sécuritaires auquel le pays multi-ethnique, multi-confessionnel et morcelé doit faire face, les nouvelles autorités tentent de rassurer la communauté internationale.
Après une visite du secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, la Jordanie a annoncé la tenue samedi d'un sommet consacré à Syrie, réunissant des ministres des Affaires étrangères et haut-diplomates américains, européens, de pays arabes et de Turquie.
A Rome, le G7 s'est dit prêt à soutenir une transition vers un gouvernement "inclusif et non sectaire" respectant les droits des femmes, l'Etat de droit et "les minorités religieuses et ethniques".
En Jordanie, Antony Blinken a également appelé à "une transition inclusive qui puisse conduire à un gouvernement syrien responsable et représentatif".
Evoquant les activités militaires israélienne et turque depuis la victoire rebelle, il a aussi jugé "vraiment important, à ce moment précis, que nous fassions tous en sorte de ne pas déclencher de nouveaux conflits".
Il a ensuite gagné Ankara, où il s'est immédiatement entretenu avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan à l'aéroport, a annoncé un responsable américain.
Pas tomber entre "de mauvaises mains"
Israël a dit avoir mené ces derniers jours des centaines de frappes en Syrie contre des sites militaires stratégiques pour empêcher leur prise par des "éléments terroristes". Israël ne veut pas que les équipements de l'armée syrienne tombent entre de "mauvaises mains", a convenu M. Blinken, mais Washington discute "avec Israël et "d'autres" "de la voie à suivre", a-t-il dit.
Avant une trêve mercredi sous l'égide des Etats-Unis, des combats meurtriers ont par ailleurs opposé ces derniers jours des insurgés soutenus par Ankara aux forces prokurdes dans le nord de la Syrie, où les Forces démocratiques syriennes, FDS, dominées par les Kurdes et soutenues par les Etats-Unis, contrôlent de vastes régions.
Les FDS sont "essentielles" pour empêcher la résurgence en Syrie du groupe djihadiste Etat islamique (EI), a souligné M. Blinken.
Le chef des services des renseignements turcs Ibrahim Kalin s'est lui rendu jeudi à Damas, selon des images diffusées par les médias turcs.
"Reconstruire"
Après plus d'un demi-siècle de pouvoir sans partage du clan Assad, le nouveau gouvernement entend instituer "un Etat de droit", a affirmé jeudi un porte-parole, Obaida Arnaout.
Les autorités vont "geler la Constitution et le Parlement" et "un comité juridique et des droits humains va être formé pour examiner la Constitution puis effectuer des amendements", a-t-il indiqué à l'AFP.
HTS affirme avoir rompu avec le djihadisme mais reste classé mouvement "terroriste" par plusieurs pays occidentaux, dont les Etats-Unis.
Dans une interview au quotidien italien Corriere della Sera mercredi, le premier ministre de transition, Mohammad al-Bachir a appelé les Syriens exilés à rentrer chez eux pour "reconstruire" le pays.
Quelque six millions de Syriens, soit un quart de la population, ont fui le pays depuis 2011, quand la répression de manifestations prodémocratie a déclenché une guerre civile dévastatrice qui a fait plus d'un demi-million de morts.
Et depuis le début de l'escalade des hostilités le 27 novembre, 1,1 million de personnes ont été nouvellement déplacées à travers le pays. La majorité d'entre elles sont des femmes et des enfants", a déclaré le bureau des Affaires humanitaires de l'ONU (Ocha), dans un communiqué.
Jeudi, près de 200 personnes se pressaient au poste-frontière turc de Cilvegözü, à 55 km d'Alep, pour entrer en Syrie, selon un gendarme interrogé par l'AFP.
A Damas, où flotte désormais le drapeau de la révolution, la vie a repris son cours.
"En voyant les gens partout dans les rues, on a l'impression que nous étions tous des prisonniers sous terre et que nous sommes désormais sortis à la lumière du jour", confie un habitant de 38 ans, Razan al-Halabi.
Les nouvelles autorités ont annoncé la reprise des activités de la chancellerie italienne et de missions diplomatiques de sept pays arabes.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) de l'ONU a de son côté lancé un appel urgent à des crédits de 250 millions de dollars pour fournir "une aide alimentaire à jusqu'à 2,8 millions de personnes déplacées et vulnérables" dans le pays.
Pilier du pouvoir déchu, le parti Baas a annoncé la suspension de ses activités. Ses hauts-responsables "ont brusquement disparu", relate Maher Semsmieh, venu jeudi remettre son fusil dans une permanence du parti.
Un Américain libéré
De nombreux Syriens ont aussi entamé une douloureuse quête de proches disparus lors des décennies de féroce répression.
L'émissaire de l'ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, a demandé la libération immédiate des "innombrables" personnes encore arbitrairement détenues dans le pays, dénonçant la "barbarie inimaginable" endurée par le pays.
Les nouvelles autorités ont annoncé qu'un citoyen américain, Travis Timmerman, avait été libéré, et se sont dit prêtes "à coopérer" avec Washington pour retrouver d'autres Américains disparus, dont le journaliste Austin Tice enlevé en 2012 lors d'une opération de l'armée en banlieue de Damas.
Les Etats-Unis "travaillent à ramener à la maison" M. Timmerman, a affirmé M. Blinken.
D'éventuelles frappes sur des sites d'armes chimiques en Syrie pourraient entraîner un risque de contamination et de destruction de preuves importantes, a pour sa part mis en garde le directeur général de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC).
L'administration autonome kurde dans l'est de la Syrie a de son côté annoncé adopter le nouveau drapeau syrien de l'indépendance, expliquant que les régions qu'elle contrôle "font partie intégrante de la géographie syrienne".