Solann: “C’est un album pop, chelou et plein de névroses!"
Révélation féminine aux dernières Victoires de la Musique, Solann nous dévoile son sublime 1er album “Si on sombre ce sera beau”. Rencontre.

Radio Fr: Solann, 25 ans et déjà pas mal de cordes à ton arc. Je pense que tu fais partie des personnes qui peuvent “remercier” le Covid. Tu étais dans le théâtre à ce moment-là, et tout a fermé, évidemment. Et c'est à partir de ce moment que tu as commencé à poster des reprises sur les réseaux?
Solann: C'est vrai que le Covid, ça a fait que je m'ennuyais énormément. Je me suis lancée un défi, de me mettre à écrire en français. J'écrivais qu'en anglais avant, parce que c'est ma première langue. Et il fallait que je trouve quelque chose à faire. Je n'aimais pas écrire en français. Je me suis dit, bon, on y va, on arrête de dire que le français c'est niais. C'est juste niais si on ne sait pas écrire. C'est ça qui m'a lancée, et c'est quelques mois plus tard que j'ai commencé à poster, surtout.
C'est quand même en partie grâce aux réseaux sociaux qu'on se rencontre aujourd'hui. Les réseaux sociaux, ça a du bon, mais ça aussi du mauvais. J'aimerais qu'on s'arrête sur ce titre “Rome”, que tu as écrit en 2022 et qui a lancé ta carrière en décembre 2023. Cette chanson a fait pas mal de bruit. Beaucoup de femmes se sont emparées ce titre, mais tu as aussi été la cible de masculinismes, qui t’ont envoyé des messages d'une extrême violence?
Oui, je me suis réveillée un matin et je n'ai pas trop compris, surtout que c'était vraiment des messages violents et bêtes parfois. J'avais un message qui disait “les femmes, c'est comme les œufs, c'est mieux quand c'est battu”. Du coup, je me suis dit fais gaffe. Je ne pensais pas qu'une chanson qui parlait des douleurs des femmes et qui était un peu dans l'idée de récupérer, de se réapproprier une insulte, allait autant énerver les gens et aller gratter à un endroit, je ne sais pas, de leur égo, de leur masculinité, alors que ce n'était pas non plus une attaque contre eux.
Ce titre, “Rome”, il est clairement devenu aussi une chanson féministe, mais tu ne l'avais pas du tout envisagé comme ça au départ. C'était une manière de parler de ton vécu, sortir ta colère aussi. Et aussi, pointer du doigt cet homme qui t'a harcelé pendant plusieurs années?
C'est ça. C'était un peu un tout, parce qu'effectivement, il y avait cette situation là. C'était un homme qui, dans la petite ville où j'habitais à l'époque, me suivait depuis mes 16 ans. Je suis allée plusieurs fois à la police. On a eu un truc au tribunal. Et bref, pour plein de raisons, une grosse injustice, je n'ai rien pu faire. Alors qu'il était très dangereux, il a essayé de me buter. Et puis, j'étais fatiguée et profondément triste. Et j'avais aussi besoin, je crois, d'expulser ça d'une façon ou d'une autre.
C'est justement ce titre “Rome” que tu as interprété au 40e Victoire de la Musique, le 14 février dernier. Tu as eu trois nominations et cette victoire de “Révélation Féminine”. On est heureuse, bien sûr, mais est-ce que tu dirais que c'est plutôt encourageant ou paniquant? Parce qu'il faut assurer aussi après?
C'est les deux, mais c'était encourageant et c'était surtout une marque de reconnaissance pour le travail que j'ai fait avec toute mon équipe. Et ça, je le chéris vraiment beaucoup parce qu'avant, je travaillais toute seule. Et là, de me retrouver avec des gens qui croient au projet et qui travaillent là-dessus, de me dire, OK, donc même si c'est moi qui suis récompensée, je sais que c'est le projet. Mais effectivement, après, il y a ce truc de, il faut enchaîner maintenant, il faut produire la suite. Et ça, ça me fait très, très peur.
On va parler de ce premier album, “Si on sombre ce sera beau” qui est vraiment sublime! Il y a des vrais textes, de vraies histoires, des musiques qui sonnent si justes et qui subliment tous tes textes. Mais j'ai un petit problème quand même. Je ne sais pas comment le qualifier. Alors je vais reprendre les mots de ta maman qui dit “C'est un album pop, folk, chelou, rempli de névroses”, tu valides?
Ah, c'est moi qui ai rajouté le rempli de névroses, mais le chelou, c'est ma mère. (rires). Mais toutes mes chansons parlent d'une frustration parce que Dieu sait que j'en ai. J'ai sauté sur l'occasion de me dire, je peux en parler, je peux me libérer, je peux faire de l'art avec. Et vraiment, j'ai eu de la chance de pouvoir me retrouver et j'ai l'impression de me nettoyer aussi beaucoup en faisant ça. Donc oui, pop, folk, chelou, plein de névroses, c'est bien ça! (rires)
C'est dans la chanson “Appelle-moi sorcière” qu'on entend “Si on sombre ce sera beau”. Pourquoi cette phrase en particulier pour le titre de cet album ?
Parce que déjà, j'aimais bien l'idée de récupérer une phrase, pas d'une chanson de colère, mais de choisir une chanson d'amour, même si elle est un peu glauque. Et puis aussi, ça représentait bien ce que je voulais faire, parce que toutes les chansons parlent d'une frustration, d'une fatigue, et je suis un peu profondément cynique par rapport à l'avenir du monde de façon générale. Mais par contre, ce que j'aime énormément chez les humains, c'est leur capacité à faire de l'art à partir des pires choses pour raconter, pour dire “ça a existé, c'était là, une horreur a existé, mais nous aussi on a existé, on était là”. Et donc c'est pour ça, si on sombre, si on se pète la gueule, on va le faire joliment en fait.
Et il y aussi le fait que tu aies été bercée dans tout ce qui est contes et légendes, avec ta maman et ta grand-maman. Tu as toujours préféré les monstres et les sorcières, aux héros trop lisses. Tu aimes jouer aussi avec ça aujourd'hui?
Bien sûr! C'est un peu théâtral et moi je m'y retrouve parce que c'est la maison. Et puis j'ai besoin de mystique un peu dans ma vie. Quand je dis que je suis une personne ésotérique, c'est parce que les gens dans ma famille le sont, mais je ne sais pas exactement où se posent mes croyances. Je sais que s'il y a de la magie, c'est dans les émotions qu'on arrive à donner en racontant une histoire, en écrivant une chanson. Moi, “ça me tue” que je puisse écrire une chanson en 2015 dans ma chambre et que quelques années plus tard, à l'autre bout de la planète, ça fasse ressentir quelque chose à quelqu'un. Et donc, j'ai besoin de rajouter cette magie, ce côté mystique qui peut parler à tout le monde, parce que les contes, ça parle à tout le monde.
Solann, je termine toujours ces interviews avec un petit instant “Crush”, un petit instant coup de cœur. Parmi les plus belles choses qui te sont arrivées ces derniers mois, on peut citer ta récompense aux Victoires de la Musique, voir tes paroles de ta chanson “Rome” écrites sur des pancartes dans des manifestations, et ton premier Olympia le 9 avril dernier. Ton crush parmi ces trois moments de ta vie?
Ça se joue entre l'Olympia et la manif. Les Victoires, c'était très, très cool, mais c'était aussi très stressant. L'Olympia, c'est le premier concert que j'ai vu de ma vie avec maman, j'avais 10 ans. C'était tellement magnifique. Et en même temps, je passais mon temps en manif et de voir mes mots sur des pancartes… (silence) Je vais dire l'Olympia, il y avait ma grand-mère, il y avait ma famille, mes amis, c'était quand même un très grand moment, mais franchement, c'est kiff-kiff!
Solann, à retrouver sur scène, le 9 juillet au Montreux Jazz Festival, et le 25 octobre aux Docks de Lausanne.
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