Sous le régime Milei, la science au bord de l'effondrement

Face au régime d'austérité du président ultralibéral Javier Milei, la science argentine s'assèche, et les chercheurs s'alarment.

L'"anarcho-capitaliste" Milei, élu fin 2023 sur fond d'inflation hors contrôle (211% en 2023), est d'emblée parti en croisade contre la dépense publique. © KEYSTONE

"Pseudo-intellectuels" d'une "casteBuenos Aires" parasite de l'Etat? Ou chercheurs désargentés du pays sud-américain comptant le plus de Nobel de sciences? La science argentine est en mode panique, avec un financement asséché sous l'austérité de l'ultralibéral Javier Milei. Et déjà, des projets de recherche à l'arrêt.

Les bactéries d'Alejandro Nadra attendront. Dans l'exigü capharnaüm de son bureau de la Faculté des sciences exactes de l'Université de Buenos Aires (UBA), entre cartons, bacs à rangement, desk croulant sous les éprouvettes, le biologiste, qui explore l'interaction protéines-ADN en lien avec la pathogénicité, décrit une recherche "au bord de l'effondrement".

"On n'a plus de quoi acheter (...) Donc à mesure que mes intrants s'épuisent, soit quelqu'un à qui il en reste m'en prête, soit j'arrête cette expérience-là", raconte-t-il à l'AFP.

L'"anarcho-capitaliste" Milei, élu fin 2023 sur fond d'inflation hors contrôle (211% en 2023), est d'emblée parti en croisade contre la dépense publique. Gelant initialement le budget 2024 de la recherche. Et malgré des ajustements ultérieurs, les dépenses en sciences et technologie ont chuté de 32,7% en valeur réelle sur un an, selon le Centre Iberoaméricain de Recherche en Sciences, Technologie et Innovation (CIICTI).

"Des chercheurs s'en vont"

L'octroi de fonds aux projets s'est tari, et les salaires (1'170'000 pesos bruts, soit 1180 dollars pour un chercheur-assistant) avaient chuté en juin de 25% à 30% sur un an, selon le Réseau des institutions de sciences et technologies, qui relève aussi 450 postes de recherche perdus depuis décembre.

"Des chercheurs s'en vont, ne postulent plus à des bourses ou postes, parce qu'ils ne peuvent plus vivre" de la recherche, se désole Alejandro Nadra. "Et si tu as la chance de décrocher une des bourses restantes, si après en labo tu n'as pas les intrants pour travailler, tu es réduit à faire de la bio-informatique..."

"C'est la première fois que je vois que des subventions, gagnées (lors d'appels à projet), non seulement ne sont pas reçues, mais dont on nous dit: 'vous ne les recevrez pas'", s'émeut Edith Kordon, cheffe de laboratoire à l'IFIBYNE, l'institut (public) de physiologie, biologie moléculaire et neurosciences. Où elle travaille sur la prévention du cancer du sein. Et "quelle rage" contre la recherche, s'attriste M. Nadra.

Dans sa croisade contre "l'Etat ennemi", Milei ne mâche pas ses mots contre le financement public de la recherche. En septembre encore, il s'en est pris aux "soi-disant scientifiques et intellectuels, qui croient que le fait d'avoir un diplôme universitaire en fait des êtres supérieurs, et donc qu'on devrait tous subventionner leur vocation".

Plusieurs fois, il a raillé le CONICET (le "CNRS argentin"), sa cible préférée, qu'il a par le passé, dit vouloir privatiser. "Quelle productivité ont-ils? Qu'ont produit ses scientifiques?"

Le monde de la recherche rappelle la tradition d'excellence scientifique argentine, avec trois Nobel: de physiologie et médecine en 1947 puis 1984, et de chimie en 1970. Tous trois issus de l'UBA.

Le mois dernier, une chercheuse du Conicet, Florencia Cayrol, s'est vu attribuer le prestigieux Global Research Award de la Société américaine d'hématologie, pour ses travaux sur les lymphomes.

Des Nobel alarmés

En mars, 68 Nobel ont écrit au président Milei pour s'alarmer d'une "dramatique dévaluation" de la science argentine, à travers la suppression de bourses et d'emplois, menant le système "au bord d'un dangereux précipice".

Comme souvent, la présidence a nuancé a posteriori les saillies de Milei, le porte-parole présidentiel assurant en réponse aux Nobel que l'exécutif "misera toujours sur la science et la technologie". D'ailleurs, "le président est lui-même un universitaire qui a publié des dizaines de publications".

Mais il "valorise les découvertes permettant des améliorations concrètes à la société", ajouta-t-il, avec une prorité à "la bioéconomie et l'intelligence artificielle" et "non des recherches d'utilité douteuse", pointant du doigt certaines sciences humaines ou les études sur le genre.

Reste que pour le biochimiste Lino Barañao, qui fut 12 ans ministre des Sciences et Technologie, "jamais dans l'histoire récente de l'Argentine il n'y a eu réduction si drastique du budget scientifique".

La semaine dernière, l'exécutif a annoncé un coup de pouce d'environ 106'000 dollars au Conicet. "Insignifiant. Cela ne change rien", a balayé Jorge Aliaga, physicien réputé et ex-doyen de la Faculté des Sciences exactes de l'UBA interrogé par l'AFP.

ATS
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