Paris pour créer librement
Baron.e va bénéficier d'une résidence d'artistes durant un an. Avant eux, le peintre Pierre-Alain Morel en avait profité. Points de vue.
Faustine Pochon et Arnaud Rolle feront leur bagages en septembre prochain, direction Paris. Une année durant, le duo fribourgeois pourra élaborer son prochain album dans l'atelier Jean Tinguely, au cœur de la Cité des Arts. Et ainsi développer leur musique au contact des influences de la capitale
Mais les deux musiciens ont encore le temps de voir arriver leur année en résidence, et travaillent d'ici-là sur leur troisième EP. "On sait qu'on va faire un album ensuite, mais son contenu reste encore un peu... flou", rigolent-ils.
"Plonger dans ce milieu parisien, ça va beaucoup nous aider", estime Faustine Pochon. "On a comme objectif de travailler sur notre premier album, donc on va quand même essayer d'être productifs", sourit Arnaud Rolle, second membre du duo. "Mais c'est vrai que le fait qu'il n'y ait pas une pression sur les épaules, c'est agréable et ça sert la créativité."
Bénéficier du réseau
Partir à la découverte de la capitale française sera également une opportunité de mettre en place tout le cadre formel qui entoure la production artistique. "Ce n'est pas forcément le plus dur de faire de la musique en Suisse, mais il y a à Paris un réseau qui n'existe pas ici, souligne la chanteuse. On travaille avec un label parisien, et de pouvoir être au quotidien en contact avec ces gens, je pense que ça va être un gros changement."
On suit plein d'artistes, évidemment, mais sans avoir un modèle en particulier.
Faustine Pochon relève aussi la simplification des représentations à l'étranger: "d'être à Paris, ça va nous aider à nous déplacer plus facilement en France. On va pouvoir organiser des dates de concert un plus facilement que maintenant, comme l'aspect logistique sera déjà facilité."
Quant à leur style de musique, les jeunes Fribourgeois comptent bien puiser dans le bouillonnement parisien pour le spécifier au mieux, sans pour autant suivre de schéma. "On s'insère dans une scène francophone qui est largement représentée à Paris. On suit plein d'artistes, évidemment, mais sans avoir un modèle en particulier", poursuit Arnaud Rolle.
Un ancien locataire
Avant eux, Pierre-Alain Morel, artiste fribourgeois aux multiples modes d'expression, avait déjà bénéficier de l'atelier Jean Tinguely en 2020 et 2021. "Tous les moyens sont susceptibles de m'intéresser", précise-t-il. Ainsi, la Ville lumière, où l'effervescence artistique est si forte, semblait être un point d'ancrage pertinent pour le plasticien.
"On était alors dans la première année de Covid, et ce séjour a été teinté par la pandémie. Par exemple, je pensais vraiment fréquenter assidûment les musées, mais pour ça je n'ai pas tellement été bien servi, quoique pour les professionnels, certains accès étaient encore possibles. Toutefois, ça a été un peu le maillon faible de cette expérience. Mais Paris reste Paris, et on est quand même dans des bâtiments où il y a potentiellement plus de 300 créateurs", rappelle-t-il.
Mais l'expérience intime vécue sur place a vite bien plus pesé dans la balance que le confinement. "Aujourd'hui, il y a d'autres moyens de savoir ce qu'il se passe dans le monde que de se rendre sur place. Mais c'est vrai malgré tout que d'être immergé dans une atmosphère, dans une ville, ça colorise beaucoup ce qu'on crée."
Quelques décennies plus tôt
Pour autant, ce n'est pas la première fois que Pierre-Alain Morel habite un atelier de la Cité des arts. "J'ai obtenu cette même bourse il y a 29 ans, mais de la Ville de Paris. Fondamentalement, l'atelier était identique, par contre les soutiens n'étaient pas les mêmes."
Bien sûr, une génération plus tard, la Ville, l'expérience ne sont plus les mêmes. "En même temps le lieu paraissait identique, en même temps tout avait changé. C'était l'époque du téléphone à fil, sans internet. Moi-même, il y a deux ans, je ne faisais plus partie de la même génération qu'il y a près de 30 ans. Alors au niveau de mon moyen d'expression, il s'est passé beaucoup de choses."
Mais certaines choses ne changent pas: "De ces deux expériences, l'essentiel a été d'avoir à disposition un espace-temps pour me développer, perfectionner mon art et répondre à des questionnements." La quête de l'insaisissable paraît ainsi une expérience immuable pour l'artiste fribourgeois.
Se frotter à l'imprévu
Lors de son dernier séjour, Pierre-Alain Morel a développé une véritable science de l'imprévisible, se découvrant même des coups de pinceaux qu'il ne soupçonnait pas. "J'ai beaucoup traversé Paris à Vélo, les autres moyens de déplacement étant plus ou moins limités. Donc, on agit en fonction des opportunités, des éventualités. Et c'est valable aussi pour l'art: moi qui préfère habituellement l'abstrait, je me suis décelé là-bas un côté figuratif."
"Une bourse, on se l'approprie comme on le souhaite. C'est nous qui devons lui donner sa consistance. Chacun s'approprie l'expérience d'une année ou d'un séjour à sa manière. Selon les domaines, je pense encore que ça change considérablement." Pierre-Alain Morel n'a donc pas de conseil à donner au duo de Baron.e, si ce n'est de profiter de cette année pour se développer et s'approprier cette parenthèse de création intense.
Le choix du jury
Mis au concours tous les deux ans, l'atelier Jean Tinguely est convoité par plusieurs artistes Fribourgeois. Un jury est alors sélectionné pour les départager, jury que préside Natacha Roos, la cheffe du Service de la culture à la Ville de Fribourg. "Dans les critères, il y a bien sûr l'évaluation de l'artiste ou du collectif. On regarde aussi si c'est une plus-value d'aller dans ce lieu de résidence."
Dans le cas de Baron.e, leur laisser le temps de développer leur musique dans un espace adéquat a été un élément important dans la décision du jury. "On trouvait le projet très intéressant, puisque d'avoir une année pour travailler leur permettrait de sortir un premier album pour 2024. Donc dans le jury, on évalue aussi toujours où en sont les artistes sur le plan de leur carrière. Et ce soutien-là à ce moment-là nous a paru très pertinent."
En 2021, Baron.e ont déjà bénéficié d'un soutien financier au développement de carrière à hauteur de 10'000 francs, attribué par la commission culturelle. "On espère vraiment que cette aide pécuniaire ainsi que la résidence permettra vraiment d'avoir aidé à ce développement, soutient Natacha Roos. Mais on est conscients que ça reste très difficile, la plupart des artistes voudraient obtenir un rayonnement national, voire international, mais tous n'y parviennent pas. C'est pourtant tout ce qu'on souhaite à notre jeune duo."