Une opération fréquente mais jamais banale

Mettre au monde un enfant en pratiquant une incision dans le ventre de sa mère, c'est le principe de la césarienne, l'une des interventions les plus pratiquées au monde. Et qui concerne en moyenne une naissance sur trois en Suisse. Si à l'échelle d'une population, cette opération est donc courante, dans la vie d'une femme, c'est une expérience forcément marquante.

"Pour moi, c'était un échec!" Alexandra* ne mâche pas ses mots pour parler de la césarienne qu'elle a vécue il y a deux ans à Payerne. Elle avait rêvé d'un accouchement le plus naturel possible, avec recours à l'hypnose pour gérer sa douleur. Mais après une provocation et 72 heures d'attente, le rythme cardiaque de son bébé suscite des inquiétudes.

Pas question pour la jeune femme de mettre en péril la vie de son fils pour son projet de naissance. Elle estime qu'il faut agir. L'équipe, qui était prête à prolonger l'effet de la provocation, la conduit alors d'urgence au bloc et pratique une césarienne "Je ne pensais pas que 15 minutes plus tard, je serai déjà en salle d'opération", se souvient Alexandra. "Je n'ai pas pu vivre cet accouchement, pour moi, c'était comme si on me volait mon bébé", regrette encore la jeune mère.

"Les femmes ont toujours le choix"

Selon le Docteur Nordine Ben Ali, médecin-chef adjoint au service de gynécologie et obstétrique de l'Hôpital fribourgeois, les patientes ont le dernier mot. Mais leur décision est parfois prise dans des conditions difficiles. Après de longues heures de travail et de douleur, les futures mères ont une capacité de discernement parfois un peu réduite.

Les équipes médicales qui les entourent ont les yeux rivés sur les tracés des appareils et leurs précieuses informations. De quoi influencer les patientes. Elles peuvent aussi être confrontées à un médecin qui est persuadé que l'accouchement doit se faire par voie basse et ira dans cette logique jusqu'au bout. "Un dialogue doit être maintenu" souligne le gynécologue-obstétricien.

Impressionnant et rapide

"C'était ma première opération", sourit Lise, "mais ça s'est très bien passé !" La Broyarde a accouché de ses deux enfants par césarienne. Le premier était un bébé un peu trop "gros" pour passer par la voie naturelle. L'opération est programmée à l'avance, mais elle est assez impressionnante pour la future maman. D'abord la rachianesthésie qui vous endort toute la partie inférieure du corps depuis les côtes. "On sent qu'il se passe des choses, mais on ne ressent rien", se remémore la trentenaire. Et puis c'est très rapide: en quelques minutes l'incision est réalisée et le bébé extrait de l'utérus de sa mère.

Deux ans plus tard, nouvelle césarienne pour Lise, cette fois en raison d'une symphysiolyse ou douleur pelvienne dont elle souffre. "Je savais parfaitement à quoi m'attendre". De quoi lui permettre d'anticiper certains détails, comme de limiter un peu les visites après la naissance, un peu compliquées à gérer quand on a eu une césarienne. 

Trois enfants...trois césariennes

Marie, elle, a eu trois enfants...et trois césariennes. Elle aussi imaginait des accouchements naturels, mais la nature justement en a décidé autrement. Son premier bébé grandit trop peu et se présente en siège, l'opération est nécessaire. Pour son second enfant, Marie en est certaine, ce sera une voie basse. Elle s'y prépare, suit avec son conjoint des cours d'haptonomie, une méthode qui permet notamment d'entrer en contact avec son futur enfant grâce à des caresses ou appositions des mains sur le ventre.

Médicalement, accoucher par voie basse après avoir eu une césarienne comporte certes des risques, mais limités. Celui d'une rupture utérine est de 7 pour mille. A l'échelle individuelle, c'est donc faible, mais à celle d'une maternité, ça représente quelques cas. "A l'hôpital cantonal, on a déjà perdu des nouveaux-nés pour cette raison", relève Nordine Ben Ali. "Notre marge de manoeuvre chez une femme qui a déjà eu une césarienne est plus limitée. On ne peut pas se permettre de longues périodes de travail."

Mais ce n'est pas la durée du travail qui a compromis l'accouchement par voie basse de Marie. C'est la fréquence cardiaque faiblissante de son bébé. La jeune femme est déjà "dans sa bulle" et c'est alors très, très compliqué pour elle de comprendre que la césarienne est inévitable. "Ça a été un choc. Je me suis retrouvée contre ce qui allait se passer!" Arrivée dans la nuit au Daler, la jeune femme pensait que le travail et l'accouchement prendraient la journée. Et au final, son enfant est né au matin.

10 césariennes de confort par an

Contrairement à nos autres témoins, Corinne redoutait bien plus un accouchement par voie basse qu'une césarienne, au point d'avoir demandé à son gynécologue de programmer l'intervention d'emblée. Mais le praticien est réticent à cette idée de césarienne dite de confort ou encore élective. La Fribourgeoise va visiter une salle d'accouchement, se laisse convaincre. Mais son bébé se présente par le siège. Ce sera donc finalement une césarienne programmée comme le souhaitait la jeune femme. "Quand il m'a annoncé ça, j'étais contente!", rigole-t-elle.

A l'HFR, on pratique une dizaine de césariennes électives par an sur un total de 300 interventions de ce genre.  Elles font l'objet d'une discussion avec la patiente pour lui exposer les risques d'avoir une cicatrice à l'utérus en cas de nouvelle grossesse. Rupture utérine donc, mais aussi risque que le placenta vienne s'insérer sur la cicatrice. Il est toutefois limité à moins de 1%. Le placenta peut aussi se trouver trop bas, donc sur les voies de sortie, mais là encore le risque est inférieur à 1%. Les femmes qui demandent une césarienne craignent notamment des déchirures, d'avoir une sexualité altérée ou encore de devenir incontinentes. Sur ce dernier point, les observations faites entre patientes césarisées et les autres montrent qu'il n'y a pas de différence après deux ans. Mais pour le gynécologue-obstétricien, on manque de données. Et il paraît inimaginable que les accouchements par voie basse n'exposent pas à des problèmes de périnée sur le long terme.

De la dentelle de St-Gall

Nos témoins, elles, ont récupéré de différentes manières. Plutôt très bien pour Corinne. "C'est une douleur qui est gérable." D'ailleurs, elle s'est très vite passée de médicaments et, deux jours après son retour à la maison, elle passait déjà l'aspirateur! "J'ai une cicatrice qui ne se voit pas. Le médecin m'a fait de la dentelle de St-Gall!"

"Avec les tissus qui cicatrisent à différentes couches, ça tire, ce n'est vraiment pas agréable." Autre version pour Alexandra qui a eu des sensations au niveau de sa cicatrice, comme des douleurs fantômes. Elle n'a pas eu de baby blues, mais a développé un lien extrêmement fort avec son enfant "un peu trop selon l'entourage". Lise, elle, a ressenti beaucoup de culpabilité de ne pas pouvoir s'occuper pleinement de son bébé tout de suite, en raison des séquelles de l'opération.

Césarienne douce ou participative

Enfin, Marie a certes vécu un choc lors de son second accouchement, elle a dû aussi faire le deuil d'une naissance par voie basse. Mais sa troisième expérience lui a mis beaucoup de baume au coeur. Elle a pu en effet bénéficier d'une césarienne douce ou participative. En résumé, les soignants enlèvent en cours d'opération le champ opératoire qui cache la partie inférieure du corps de la mère. Cette dernière peut alors voir son enfant littéralement sortir d'elle. Le bébé est ensuite placé quelques minutes sur une couverture chaude et directement sur sa maman, presque comme pour un accouchement par voie basse. "C'était magnifique", se souvient Marie, "de l'émotion pure!" Pour la jeune femme, cette méthode participative devrait être LE standard en matière de césarienne.

Certains hôpitaux souhaitent, eux, limiter le recours à la césarienne "classique" au profit d'accouchements plus naturels. C'est le cas du CHUV depuis quelques années. Grâce à certaines mesures, comme un accompagnement des mères, l'établissement a réduit son taux de césariennes à environ 20%.

*prénom connu de la rédaction

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