Faut-il inscrire la saison d'alpage à l'UNESCO?

Les traditions comme l'estivage, le fromage d'alpage ou le tavillonage pourraient bénéficier de cette reconnaissance. Nécessaire? Enquête.

Poya 2013 à Estavannens dans le canton de Fribourg © KEYSTONE

"Quand on parle de saison d'alpage, on est dans un grand assemblage de traditions." Julien Vuilleumier, collaborateur scientifique à l'Office fédéral de la culture et spécialiste du patrimoine immatériel donne d'emblée le ton. L'estivage ne se résume pas à l'inalpe, la montée à l'alpage et à la désalpe, le retour des hommes et des bêtes en plaine. Ni à un défilé de troupeaux au son des cloches. Mais il inclut de nombreuses activités comme la fabrication du fromage, le tavillonnage et d'autres artisanats associés à cette période de l'année.

Et ce sont toutes ces pratiques que la Suisse aimerait voir inscrites au patrimoine immatériel de l'UNESCO. Un dossier de candidature nationale a été déposé en mars dernier.

Des paysans fiers

Il n'y a pas qu'en Gruyère qu'on poye! Dans tous les cantons suisses ou presque, des vaches, de chèvres ou des moutons passent l'été en altitude avec là encore plusieurs traditions associées. Et des travaux indispensables, déjà en amont de l'estivage comme la remontée des clôtures, endommagées par la neige ou encore le nettoyage du chalet. Puis les armaillis et leurs bêtes prennent leurs quartiers d'été. Cette montée à l'alpage "c'est un des grands jours de l'année", comme le souligne en souriant Philippe Dupasquier, ancien président de la Société fribourgeoise d'économie alpestre et fromager d'alpage.

Ce métier, il le pratique depuis des décennies. Il peut compter sur ses sens, faute de pouvoir calculer précisément l'acidité de son lait par exemple. Les moyens sont plus rudimentaires qu'en plaine et le travail plus rude même s'il n'a pas toujours été bien considéré. "Les paysans ont toujours été fiers de leur travail, relève François Margot, coordinateur du Parc naturel régional Gruyère Pays-d'Enhaut, mais ce n'était pas le cas des autres secteurs de la population." La valorisation du fromage d'alpage a changé la donne et "les désalpes ont aujourd'hui une aura qu'elles n'avaient pas il y a 50 ans!" François Margot le constate notamment avec ces jeunes qui ont envie de s'installer au Pays-d'Enhaut et de partager les mêmes valeurs que les alpagistes. Mais ces traditions ont bien failli disparaître.

Soutien et reconnaissance

"La pire période, ce sont les années 70", indique Serge Rossier, directeur du Musée gruérien. A cette époque, il ne reste plus que 7 ou 8 chaudières fabriquant le fromage dans le canton de Fribourg, alors qu'aujourd'hui, elles sont une trentaine.

Il y a aussi une formation de fromager, il y a aussi des femmes armaillis et des jeunes qui sont fascinés par ce mode de vie. On a pris conscience de l'importance économique de la production d'alpages qui bénéficie d'un soutien et d'une reconnaissance de l'Etat. Car sans les troupeaux en altitude, la forêt reprendrait ses droits avec une biodiversité moins riche. Reste que la reconnaissance c'est bien, mais pour Philippe Dupasquier, des prix plus élevés pour les produits d'alpage seraient encore une plus belle récompense.

Pas de label ou de panneau

Pour savoir si la saison d'alpage obtient son inscription sur la liste du patrimoine immatériel, il faudra aussi s'armer de patience. L'UNESCO rendra en effet sa décision d'ici une quinzaine de mois. Et déjà, l'institution s'assurera que les candidats respectent les critères. Parmi ces derniers, l'adhésion des principaux concernés à cette inscription. En d'autres termes, il faut que les alpagistes eux-mêmes soutiennent le projet.

"Un certain nombre de personnes qui travaillent à l'alpage considèrent que ce processus leur échappe et qu'il ne les concerne pas forcément", regrette Serge Rossier. Mais cette inscription c'est "un coup de projecteur" selon Julien Vuilleumier. De quoi rappeler aux autorités l'importance de soutenir ce pan de l'économie. "C'est aussi une forme de lobbying culturel", ajoute le collaborateur scientifique de l'OFC. Sans label ou panneau à la clé, comme c'est le cas par exemple pour le Lavaux, seul paysage culturel suisse inscrit au Patrimoine mondial. Mais selon Serge Rossier, c'est une reconnaissance du travail accompli et la possibilité aussi d'attirer des partenaires économiques respectueux de ces traditions.

En attendant la décision de l'UNESCO, pas question de rester les bras croisés, mais de mettre déjà en place des mesures de sauvegarde de la saison d'alpage. Il s'agit notamment de trouver et mieux former la relève, de sensibiliser randonneurs et touristes à la cohabitation avec les alpagistes, de mieux documenter enfin la saison d'alpage. "C'est une attente, mais une attente déjà active "conclut Julien Vuilleumier.

Et si vous avez envie de découvrir ou redécouvrir ce qu'est la saison d'alpage, rendez-vous tout l'été au sommet de Vounetz. Charmey en collaboration avec le Parc naturel régional, vous propose différentes activités sur ce thème.

RadioFr. - Sarah Camporini
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